Pourquoi j’ai choisi de vivre dans un camping-car
Certains rêves n’en sont en réalité pas. Des faux-semblants, des mirages plantés dans nos
têtes comme des balises. Des idées fixes et figées, qui glissent sous la peau, s’insinuent en
silence. On les prend pour des rêves, mais ce ne sont que des poids déguisés en
promesses.
Des poids donc qui nous ancrent et nous enserrent. Qui nous murent. Confort, certitudes et
sécurité bétonnées. Trace tout droit sur la voie toute tracée. On y croit. On s’ancre et on s’y
accroche, mais à quel prix? Sécurité ou liberté? S’enraciner ou s’envoler? Où placer le
curseur?
Vivre “délibérément”, c’est choisir où placer le curseur entre sécurité et liberté. Et surtout le
faire sans se mentir. Alors, on balance. Et puis souvent, on prend la sécurité pour une
évidence. On la pose là, parce qu’on nous a dit que c’est comme ça qu’on se protège des
brèches et des éclats.
La liberté, elle, ne se fixe pas. Elle se débat, s’échappe. Elle dévore. Elle ne promet rien,
sinon un vertige et des chutes. Elle mord. Elle fait peur parce qu’elle dépouille. Elle prend ce
qui rassure, et elle ouvre un vide, elle creuse une faim de tout autre chose. Elle est brute,
insatiable, elle demande de renoncer aux assurances.
Alors, où place-t-on ce curseur ? C’est là que se joue notre part de choix. Un choix qui n’est
pas toujours un choix. Parce qu’au fond, on est forgés par ces idées fixes, par cet héritage
de sécurité qu’on porte en nous comme une loi. Bourdieu l’a bien vu: on ne place pas ce
curseur dans le vide, librement, mais dans un cadre, une cage qu’on appelle société. Ce
curseur, il est déjà placé pour nous, fixé dans l’habitus, et ce qu’on croit être notre désir est
souvent le désir des autres, gravé en nous depuis le début.
Et pourtant, certains déplacent ce curseur, l’arrachent du point où il est scellé. McCandless,
lui, l’a repoussé jusqu’à l’extrême, vers cette liberté qui n’a plus rien de sûr, qui se moque du
confort et des murs. Pour lui, il n’y avait plus de compromis, plus de balises. La liberté ou
rien. Une course sans retour.
Et moi? Moi, j’ai choisi de pousser ce curseur là où la sécurité perd un peu de son éclat, là
où elle ne dicte plus mes choix. J’ai pris un autre chemin. Pas par sacrifice, mais par
nécessité. J’ai lâché la maison, les murs bien fermés, pour un espace qui respire, qui ne
m’attache à rien. Mon refuge, c’est un camping-car, et dans ces quelques mètres carrés, je
suis chez moi. Pas de confort figé, juste de quoi vivre, de quoi avancer.
Certains disent que c’est provisoire, que je finirai par m’installer. Comme pour me rassurer.
Ou plutôt se rassurer. Je les écoute, j’acquiesce. Mais au fond, je sais où est mon
assurance. Ce camping-car, c’est mon choix. Parce que ce que je veux, c’est la liberté,
même s’il faut pour ça laisser de côté les certitudes.
Plus d’échappatoire. La solitude ne me fait pas peur. Elle me parle, elle me recentre, elle me
libère du brouhaha. Loin des faux conforts, je trouve quelque chose de plus brut, de plus
vrai. Pas de murs, pas de poids. Juste l’essentiel. L’air et la route.
La liberté, la vraie, celle qu’on choisit “délibérément” au-delà des attentes, n’est jamais un
chemin facile. Elle est rude et crue. Pas de promesses, juste la possibilité d’être en face de
soi-même, sans détour, sans échappatoire.
Ce n’est pas un idéal pour tous, et c’est bien là le paradoxe: la liberté demande des
renoncements que peu de gens sont prêts à faire. Parce que choisir cette voie, c’est
accepter d’abandonner une part de sécurité, de marcher sur un fil où chaque pas est un
choix. On avance, éveillé, vers le vide et l’inconnu.
Alors oui, mon choix peut paraître radical. Mais j’ai juste choisi de vivre pleinement, de
laisser la sécurité en arrière, pour goûter cette liberté sans compromission. Ce camping-car,
ces routes et ce silence, c’est ma manière de larguer les amarres.
Ce chemin, il n’est ni plus juste ni meilleur qu’un autre. C’est juste le mien. Celui où je me
tiens, entier, face à moi-même, sans le filtre des faux conforts. Libre, et ça suffit.